Le voleur de morphine
Mario Cuenca Sandoval [Sandoval, Mario Cuenca]"Le corps du voleur de morphine flotte sur le fleuve comme une feuille.
Peu lui importe la puanteur et la température glacée de l'eau. Le
courant lent et verdâtre l'éloigne du village pour le mener à
l'intérieur de la guerre. Les soldats le voient glisser lentement et le
prennent pour un cadavre. Il passe comme un radeau silencieux près d'un
peloton de Chinois, puis des gringos et, enfin, des Colombiens venus
épauler les gringos dans une guerre qui ne les concerne en rien.
Hussards et corsaires, samouraïs et Vikings, légionnaires et hoplites,
tous le croient mort. [...]. En moins d'un mois, le Maigre s'était mis à
fumer de la marijuana comme un orang-outang et avait découvert que ce
conflit en cachait un autre, un combat halluciné où les Jaunes aveuglés
par l'opium attaquaient les bunkers des Américains grisés d'herbe qui
les accueillaient avec des rafales de balles. Il y avait aussi les
Coréens du Nord qui buvaient une gorgée de soju avant de se précipiter
sur les mitrailleuses des marines portoricains surnageant grâce aux
métamphétamines. Un combat se livrait au sol, organique et sanguinolent,
tandis qu'un autre se disputait trois ou quatre pieds plus haut, tissé
par les fils de l'ivresse. Et dans cette guerre d'en haut, les hommes
n'avaient pas peur. Or l'absence de peur est l'un des dons les plus
précieux de l'humanité."